
À Bamako, des mesures récentes, fortes et nombreuses, semblent annoncer des décisions plus graves touchant bien sûr le Mali, mais aussi les hommes qui le dirigent. Quel avenir ceux-ci se préparent-ils alors que la Confédération des États du Sahel se construit peu à peu ? Les institutions de cet édifice original vont se retrouver entre les mains de certains officiers. Malgré de piteux résultats (I), ils ont anticipé les temps à venir en se promouvant dans la carrière militaire en vue de la répartition des postes au sein de la Confédération (II) ; et, sur le plan interne, ils cherchent à pérenniser le statu quo (III).
I ~ La promotion de l’inefficacité et de la dangerosité
La dernière duperie de l’armée date du 16 octobre 2024 : les cinq colonels putschistes et leur compère Abdoulaye Maïga ont joui d’une promotion exceptionnelle – tant par son importance que par son caractère injuste. Les nouveaux généraux n’ont pourtant rien fait qui mérite telle récompense : au ministère de la Défense et des Anciens Combattants, Sadio Camara n’a pas endigué les violences terroristes ; en matière d’organisation des élections, chacun vérifie sans effort l’inefficacité du ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Abdoulaye Maïga. Seul Ismaël Wagué, chargé de la Réconciliation nationale, pourrait se vanter d’avoir atteint quelques objectifs, mais tout Malien sait que les Assemblées nationales de la réconciliation nationale (ANR) et le Dialogue inter-Maliens (DIM) ont produit des recommandations écrites par la junte elle-même, une fois ses opposants écartés. De plus, les exigences à cette réconciliation imposées par Amadou Kouffa, à la tête du mouvement islamiste Katiba Macina, comme le respect de la charia, sont un camouflet, sinon une terrible humiliation. Quant à Malick Diaw, il n’a pas cherché à motiver les membres du Conseil national de la Transition (CNT), qu’il préside, pour légiférer contre le prix élevé de l’énergie. Le 1er novembre, il a même contribué, avec eux, à abîmer, encore, les règles de droit constitutionnel en votant la loi ratifiant le Traité de Confédération des États du Sahel. Enfin, concernant l’ordonnateur du désordre et de l’inefficacité érigée en programme politique, le général d’armée Goïta, il a organisé la perte de la souveraineté du Mali, partiellement confisquée par la Russie, par la Chine, et par la si puissante association interétatique en train de se constituer avec le Niger et le Burkina Faso. Un tel bilan ne les préoccupe pas, tant leur intérêt est ailleurs.
II ~ La répartition des fonctions au sein de la Confédération des États du Sahel
L’élévation des colonels au grade de général de division pour l’un, de corps d’armée pour quatre d’entre eux, et d’armée pour le premier de tous signale une ambition égotique. Elle signale aussi la nécessité pour ce quarteron de se hisser au rang le plus élevé de la hiérarchie militaire pour peser, au moins de façon symbolique, face au capitaine Ibrahim Traoré et, surtout, face au général de brigade Abdourahamane Tiani, leurs alliés et leurs complices depuis la signature du Traité portant création de la Confédération des États du Sahel le 6 juillet 2024. En effet, si ces hommes ont des intérêts communs, l’article 7 de leur Traité dispose que « le collège des chefs d’États est l’instance suprême de la Confédération » et que, selon l’article 8, leurs « décisions sont prises à l’unanimité ». Paraître le plus fort n’est donc pas un détail pour faire adopter son point de vue : les discussions entre les trois dirigeants seront inévitablement parfois tendues. Comme il faut régler les problèmes avant qu’ils n’arrivent, la nomination des hommes forts de la junte malienne s’explique aussi au cas où Assimi Goïta devait être temporairement remplacé par l’un d’eux : « En cas de changement à la présidence de l’État assurant la présidence de la Confédération, le nouveau Président de cet État continue le mandat de son prédécesseur jusqu’à son terme. » Ainsi le précise le cinquième alinéa de l’article 8. Elle s’explique aussi au vu de la deuxième instance de la Confédération que constituent les Sessions confédérales du Conseil des ministres. D’après l’article 12, celles-ci comptent les ministres des Affaires étrangères, de la Défense et de la Sécurité et de ceux qui coordonnent le Développement. Là aussi, prendre part aux discussions en uniforme de général offrira à ces serviteurs de l’État un avantage certain. La reconnaissance, même théorique, par les autorités militaires suprêmes du Mali, de leur estimable parcours, leur offrira une stature considérable, utile lors des rencontres avec les autres dirigeants africains, et qui les légitimera un peu à leurs yeux, tant la culture du chef est encore vive dans cette partie du monde. L’actuel président du CNT sera sûrement désigné député confédéral et présidera la première session du Parlement de la Confédération, puisque c’est au Mali qu’a échu la première Présidence tournante de la Confédération.
Il ne reste qu’à transposer, à l’échelon confédéral, la répartition des postes telle qu’elle est actuellement à l’échelon national.
III ~ Le statu quo au plan intérieur
La mise en place des institutions confédérales va continuer d’influencer l’ajournement des élections législatives et de la présidentielle : si elle organisait ces scrutins avant l’achèvement de l’édifice supra-étatique, la junte courrait le risque de perdre sa mainmise sur le Parlement national, donc sur le Parlement confédéral, d’autant plus que la Constitution de la IVe République prévoit l’existence de deux chambres législatives, ce qui augmente le danger de perdre la majorité, sinon l’unanimité. De ce point de vue, la situation présente des nouveaux généraux qui commandent le Mali est assurée de rester telle qu’elle est tant qu’ils empêcheront les citoyens d’élire leurs représentants. Mais même quand cela arriverait, il faut mesurer le péril qu’encourraient les putschistes de déchoir, car c’est au Conseil des chefs d’États que le Traité de Confédération donne un pouvoir gigantesque : ce sont eux qui actionneront les mécanismes de cette machine singulière ; eux qui convoqueront les Sessions du Parlement et les Sessions du Conseil des ministres.
Quoi qu’il en soit, il est presque certain qu’Assimi Goïta conservera le fauteuil présidentiel, l’une des recommandations du DIM entendant « susciter la candidature du colonel Assimi Goïta à la prochaine élection présidentielle ». Une fois suivie, cette suggestion écartera la disposition de la loi électorale du 24 juin 2022, qui gêne le chef de la junte, puisqu’elle interdit à un membre de l’armée de se présenter à l’élection présidentielle, sauf s’il démissionne ou demande sa mise à la retraite. D’autres expédients sont possibles, comme imiter le moyen employé par le capitaine Traoré, qui, le 25 mai 2024, a fait modifier la Charte de la Transition pour prolonger de soixante mois (article 22) le régime exceptionnel et ainsi demeurer au palais présidentiel.
M. Balla CISSÉ, docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris
Diplômé en Administration électorale

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