
Notre douleur ne peut être comprise par ceux qui ne l’ont pas vécue.
Nous vivons avec les souvenirs de nos proches assassinés ou déportés,
et avec cette angoisse constante de penser à ceux que nous avons perdus, sans sépulture, sans justice.
Dieu m’a épargné, et le Sénégal m’a tendu la main.
Il m’a accueilli avec mes blessures, m’offrant un refuge dans ses camps.
Je n’oublierai jamais Dagana, ma ville natale, ni Tekane, où reposent aujourd’hui mes parents.
C’est avec une profonde amertume que je m’exprime aujourd’hui.
On nous a incités à revenir en Mauritanie, en nous promettant une réintégration juste.
Mais ce retour n’a été qu’un leurre. Là où nous espérions retrouver notre terre et notre dignité,
nous avons trouvé l’exclusion, l’humiliation.
Nous sommes devenus des étrangers sur notre propre sol.
Je pense à ceux qui ont fait le choix de rester au Sénégal,
parce qu’au moins là-bas, ils avaient un lopin de terre, une vie possible.
Les retours organisés, eux, se sont souvent soldés par des échecs,
comme en témoigne tragiquement la situation à Boghé, abandonnée à son sort.
Depuis le régime d’Aziz, et encore aujourd’hui,
les veuves et les orphelins qui osent réclamer justice,
ou simplement demander où reposent leurs proches disparus,
sont considérés comme des ennemis de la République.
Et pourtant, l’État mauritanien a reconnu sa responsabilité dans les crimes et les déportations que nous avons subis.
Alors pourquoi ce silence ? Pourquoi cette indifférence face à nos souffrances toujours vives ?
Pourquoi laisser des milliers d’apatrides survivre au Sénégal dans une misère silencieuse ?
Je refuse de me taire.
Je parle pour ceux qui ne peuvent plus parler.
Je parle pour ceux qu’on a fait taire.
Notre espoir s’effrite. Et si rien ne change, ce sera le désespoir qui finira par tout engloutir.
Mamoudou Baidy Gaye dit Alia
– Une victime de la déportation mauritanienne.
