
Il est tentant, face à la violence symbolique ou physique, de désigner des coupables, de tracer des lignes, de dire : ceux-là ne sont pas nous. Ceux qui ont déterré un corps parce qu’il ne partageait pas notre foi, ceux qui refusent qu’un ancien esclave repose aux côtés de leurs ancêtres, on aimerait les mettre à distance, les tenir à l’écart. Mais ils sont des nôtres. Ils sont nés du même sol, parlent nos langues, prient
dans nos mosquées. Ils sont le produit d’un imaginaire que nous partageons, partiellement ou totalement, que nous partageons quand même.
C’est là que commence le malaise. Car si nous refusons de les regarder en face, nous refusons aussi de nous interroger sur ce que notre société accepte, transmet, tolère en silence. Une société ne se construit pas uniquement par ses lois ou ses institutions. Elle se tisse, jour après jour, dans le tissu vivant des relations. Or quand la relation à l’autre est fondée sur la peur, le mépris ou la hiérarchie, elle prépare le terrain à toutes les exclusions.
Ce qui est inquiétant aujourd’hui, ce n’est pas seulement le rejet de l’autre. C’est la manière dont ce rejet devient la norme, et la nuance, une faiblesse. On ne veut plus comprendre, on veut trancher. Il faut que tout soit pur, net, sans mélange. Cette exigence de pureté n’est pas spirituelle, elle est sociale, idéologique. Elle ouvre la voie à tous les fanatismes.
Mais une société vivante est une société qui accepte la complexité. Elle reconnaît que l’autre, par sa différence, m’enseigne quelque chose de moi. Elle comprend que la relation — qu’elle soit de filiation, de voisinage, d’humanité tout simplement — est ce qui nous fonde. Lorsque nous la brisons, lorsque nous décidons que certains ne méritent pas la terre commune, c’est le lien même de notre communauté humaine que nous affaiblissons.
Alors peut-être faut-il cesser de chercher qui est à blâmer, et commencer à regarder comment nous éduquons, comment nous transmettons, comment nous choisissons — ou pas — de dialoguer. Car le fanatique ne naît pas tout seul. Il est souvent le fruit d’un silence, d’une peur, d’une indifférence partagée, d’une compréhension erronée des textes, d’une éducation…
Ceux qui déterrent, ceux qui refusent une sépulture commune, sont des nôtres. Et c’est justement pour cela que notre responsabilité est engagée. Non pas pour les condamner, mais pour ne pas leur ressembler.
Par Ndiaye Kane SARR
