● Médias sociaux | La société soninké : face au mésusage de WhatsApp. Par M. Seyre Sidibe



Depuis sa “pénétration” sur le continent africain, dans les années 2009, 2013 et 2015, WhatsApp a révolutionné la communication en la rendant quasi gratuite et accessible à tous.

L’oralité étant l’un des aspects les plus importants de la culture africaine, WhatsApp aurait dû y trouver naturellement sa place. Mais malheureusement, il a été utilisé à mauvais escient, créant amertumes et instabilités sociales.

La société soninké du Guidimakha, connue pour sa forte diaspora vivant en Europe, en Amérique et en Afrique, a accueilli cette technologie avec enthousiasme.

WhatsApp était un moyen de rétablir le lien entre les émigrés éloignés du terroir et les familles restées au pays. Il apparaissait comme une thérapie qui soulageait les angoisses liées à la séparation, à la solitude et à l’absence.

Au début, l’usage de WhatsApp était  modéré, d’autant que le réseau n’était pas disponible partout : la démocratisation de la communication restait limitée. Les appels téléphoniques dominaient encore.

Cependant, il serait injuste de passer sous silence qu’il existe, malgré tout, quelques groupes WhatsApp soninké porteurs de messages utiles et courageux. Certains ont servi de plateformes de réflexion, de débats constructifs et d’éveil collectif.
Ils ont abordé des sujets que l’on n’osait pas évoquer : la lutte contre la féodalité, contre l’esclavage par ascendance, pour une citoyenneté pleine et entière, ou encore la remise en cause de certaines clauses du pacte communautaire hérité. Ces espaces vertueux ont accompagné des prises de conscience, éclairé les esprits et porté des combats légitimes.

Mais depuis que WhatsApp est devenu populaire et accessible à tous — avec la possibilité de créer des groupes, d’envoyer sons, vidéos et images — la société soninké du Guidimakha est en proie à des crises sociales multiformes, menaçant son existence et son identité.

Le responsable, c’est bien le mauvais usage de la technologie, la banalisation de la parole et la multiplication d’intervenants qui ignorent les conséquences d’une communication incontrôlée. Chacun s’improvise tribun ou porte-voix.

La parole s’est libérée, mais elle nous a emprisonnés dans le déshonneur : plus de tabou, plus de respect, plus de secret, plus de retenue, plus de pudeur.

La dignité nous a quittés. Nous passons notre temps à nous insulter, à nous provoquer à travers des groupes WhatsApp qui cristallisent nos contradictions, nos divisions et nos animosités.

Certains se sont spécialisés dans la diffamation, la calomnie et l’insulte publiques. Des grandes gueules, tels des tireurs à gage, sont payés pour dénigrer, humilier et injurier.

La rhétorique de la délation, de l’injure et de la violence verbale s’est emparée de la société soninké. Les derniers sages qui nous restent encore préfèrent se taire, craignant d’être rabaissés. Ils redoutent ces mauvaises langues, ces hyènes qui ricanent sur tous les toits et n’épargnent plus personne.

La parole est d’argent, le silence est d’or. Taisez-vous ! Arrêtez de vous insulter, de nous insulter, de nous humilier. Vous avez ouvert des fronts d’hostilité, distillé la haine et la vengeance partout.

Vous avez déstabilisé des familles, des communautés et des villages par votre usage inconscient et destructeur de la parole et de la technologie.

Au Guidimakha, on en vient à constater que l’on ne travaille plus. Désormais, les Soninké parlent : parler pour nuire, parler pour se nuire les uns les autres, pour se glorifier, pour se vanter, pour détruire, pour insulter, pour se faire insulter.

Pensez à vous déconnecter. Quittez tous ces groupes WhatsApp qui répandent, prêchent la division et la guerre, l’orgueil ou encore  l’autoglorification.

Nous passons à côté de l’essentiel. Nous nous chamaillons sur des choses futiles, dépassées, souvent sans réelle importance.
Voilà une société réfractaire au changement, à la modernité mais prompte à consommer sans modération les produits de la technologie, de la science. Encore une fois, ce n’est point la technologie qui est en cause, c’est plutôt notre rapport à la technologie, notre usage de la technologie ici WhatsApp.

Seyre SIDIBÉ

● L’esclavage en islam : groupes terroristes et certains cercles religieux dits classiques piégés dans les mêmes ambiguïtés.

• Photo illustration Cheikh Mohamed Diakho Tanjigora source Internet

La question de « l’esclavage » dans la problématique de l’extrémisme violent sous couverture religieuse dans le Sahel | M. Mohamed Diakho Tanjigora l’a abordée ces derniers temps dans 2 audios tirés d’une émission appelée Soumare_Média. Il a explicité en substance qu’il y a beaucoup d’ambiguïtés en termes de sémantique et de compréhension du phénomène dit jihadiste et les pratiques agressives qui y sont liées. Selon lui, les rapts esclavagistes menés par certains groupes terroristes « en nommant boko haram » se pratiquent sur une base idéologico-religieuse similaire à ce que de groupes intégristes dits islamistes se donnaient pour asservir des populations Yézidies en Syrie à une époque récente. Il indexe une fatwa d’un dignitaire religieux saoudien du nom de Al-Fawzan qui aurait donné sa validation et que les terroristes du boko haram en font une référence également. On comprendrait dans son propos que l’esclavage dit « validé » au nom de l’islam est une problématique étrangement tenue dans une lecture transversale très floue. Du côté terroriste comme chez certains canaux dits classiques du fait religieux, les positions jurisprudentielles restent insidieusement équivoques.

Substance de la fatwa d’Al-Fawzan – source Internet IA

L’antiesclavagisme militant est heurté dans certain ensemble arabo-musulman de nos jours parce que l’idéologie esclavagiste se trouve cette justification jurisprudentielle à travers une lecture dite religieuse plus que problématique.

Pour rappel, l’esclavage est un crime contre l’humanité dans de nombreux pays aujourd’hui.

KS pour le BLOG

● Mauritanie | frictions et violences autour du foncier

Mauritanie du foncier | Très souvent s’il y a frictions et violences intra-communautaires ou inter-communautaires, nos « ismes » ne sont pas innocents dans l’équation problématique : ethnicisme, tribalisme, communautarisme, ethno-racialisme, suprémacisme, féodalo-esclavagisme…

L’état de droit à vocation universaliste est systématiquement torpillé par les structures ethno-politiques dans nos terroirs. La tenure coutumière et tribale du foncier est un nœud conflictogène dans différents endroits… qu’on soit dans le Tiris zemmour au Nord ou au bord du fleuve à l’extrême Sud. La force publique trempée dans ses sourdes ambiguïtés a raté de dompter les régimes féodalo-traditionalistes qui sont anti-républicains et par nature intrinsèquement contre l’effectivité d’un ordre citoyen transcendant nos étroites appartenances. Ces appartenances que d’aucuns activistes y mettent « boiteusement » une substance fourre-tout de « nationalité ». Nationalité ethnique ou ethno-raciale voulant s’accorder un statut de propriétaire terrien exclusif dans des espaces comparés selon certain imaginaire collectif comme des principautés hors du régalien républicain.

Les autorités étatiques doivent donner force à la LOI avec clarté et Justice.

Prompt rétablissement aux blessés du côté de Hayrre Goleré (Brakna).

📰Lire l’élément médias Mauritanie : des blessés dans un conflit sur une zone agricole relevant de la moughataa de Bababé https://share.google/ViSXElrO1oiEuV5Wo

Bonne entame de semaine à TOUS.

24-11-2025

KS pour le BLOG

● Mauritanie | Le Président de la République tient une réunion avec les walis [AMI]

Son Excellence le Président de la République, M. Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, a tenu, ce jeudi après-midi, une longue réunion avec les walis des différentes régions du pays. Cette réunion était consacrée au suivi des décisions des réunions précédentes, à l’évaluation de la performance de l’administration régionale et locale, et à la mesure de la qualité des services fournis aux citoyens. Elle a également permis de faire le point sur l’avancement de la mise en œuvre des politiques publiques au niveau local dans le cadre du programme présidentiel “Mon ambition pour la patrie”, en particulier le programme d’urgence pour la généralisation de l’accès aux services de base, lancé récemment par Son Excellence le Président de la République depuis la wilaya du Hodh Chargui.

Au début de la réunion, Son Excellence le Président de la République a rappelé l’importance des sujets abordés lors des différentes étapes de sa récente visite dans la wilaya du Hodh Chargui, notant que même si les discours portaient sur les affaires régionales et locales, ils étaient, dans de nombreuses de leurs dimensions, adressés aux citoyens de toutes les wilayas du pays et aux responsables publics en tant que principaux concernés par l’instauration d’un État de citoyenneté et de droit.

Il s’agit en particulier de la citoyenneté, car il est impératif, dans un État de droit, d’accorder une priorité absolue à l’enracinement de l’esprit de citoyenneté et au renforcement de l’appartenance à la nation au détriment des appartenances étroites et secondaires, qu’elles soient tribales, régionales, stratifiées ou catégorielles, ce qui exige de traiter les populations comme des citoyens égaux en droits et en devoirs, et ce, indépendamment de toute autre considération ou arrière-plan.

Son Excellence le Président a souligné la nécessité pour les walis et les autres responsables de l’administration régionale d’assumer pleinement leurs responsabilités pour gagner de manière décisive la bataille de l’instauration de la citoyenneté et de s’opposer fermement aux comportements contraires à cette orientation, quelle qu’en soit la source, et en particulier ce qui pourrait émaner des agents de l’État. Il ne s’agit naturellement pas de combattre les entités sociales traditionnelles, mais de s’opposer à leurs manifestations négatives, en particulier celles qui contredisent l’appartenance à la nation unie, ou qui défient l’entité de l’État, son autorité ou sa souveraineté, ou qui entravent les programmes de développement et de promotion de la société, y compris la tentative de monopoliser les terres agricoles, les points d’eau ou les puits, ou qui empêchent l’exploitation des ressources naturelles en général.

Les interventions de tous les walis ont été écoutées concernant la mise en œuvre des directives issues de la dernière réunion, notamment en ce qui concerne les sujets suivants : l’école républicaine, la protection des pâturages, l’immigration et la résidence des étrangers, et l’agriculture (en particulier l’utilisation optimale des équipements mis à la disposition des wilaya).

Son Excellence le Président de la République a appelé les walis, en leur qualité de représentants du Président et du Gouvernement, et en plus de leurs missions traditionnelles, à contribuer à la sensibilisation aux priorités, orientations, politiques et programmes de l’État, car l’administration est le mécanisme essentiel pour la mise en œuvre des politiques publiques sur le terrain au service du citoyen et du développement, conformément à l’approche de développement participative actuellement adoptée, qui exige d’intensifier les efforts déployés dans le domaine de la communication directe avec les citoyens et des visites de terrain dans les différentes circonscriptions administratives.

Son Excellence a demandé au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour traiter positivement les questions et les demandes urgentes soulevées par les walis, en fonction du domaine de compétence de chaque département ministériel concerné, et d’intensifier la coordination à l’avenir entre les autorités centrales et régionales.

Cette réunion s’inscrit dans le cadre du projet sociétal que Son Excellence le Président de la République s’est engagé à mettre en place au service du peuple mauritanien et de l’État mauritanien, à travers l’édification d’une administration publique efficace, professionnelle, crédible et dévouée au service de tous, contribuant à renforcer la stabilité, à consolider la justice et à accélérer le rythme de mise en œuvre des programmes gouvernementaux, afin qu’elle soit capable de servir le citoyen et le développement avec toute la dignité requise.

©️ lien médias Le Président de la République tient une réunion avec les walis – Agence mauritanienne d’information https://share.google/2mlu1Hdj2jRTX1JYk

● De M. Biram Dah Abeid | ️Lettre ouverte aux champions du réveil Africain, dirigeants du Sénégal



Par Biram Ould Dah Ould Abeid, Député Mauritanien, Président de la Coalition de l’Opposition Anti-Système et de l’Initiative de Résurgence Abolitionniste (IRA), Prix des Droits de l’Homme des Nations-Unies (2013).

Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, chers guides et frères, après plusieurs nuits de stress et d’insomnie, à Bruxelles, capitale de l’Europe, je me résous à vous écrire, espérant que vous lisiez mon message, malgré la priorité des impératifs que vous dicte l’exercice du pouvoir d’Etat.
L’Afrique est nostalgique des pionniers de ses luttes pour la dignité, la vraie, presque tous partis en martyrs, sans avoir assisté à votre exploit. Le recouvrement de leur rêve de leaders bâtisseurs vous échoit.  Il vous appartient de confirmer la revanche, sur la malédiction du sort et la nuisance des forces rétrogrades, soient-elles endogènes ou d’appoint aux appétits extérieurs. Des générations d’Africains n’ont cessé, depuis des décennies, de scruter l’horizon – obstinément vide – du lendemain qui répare et rassure. Avant vous, les multitudes vivaient l’espérance, quasi messianique d’une relève, sur la voie du redressement moral, pour qu’enfin prenne corps, la promesse de l’émancipation. Patrice Lumumba, Ruben Um Nyobè, Ahmed Ben Bella, Mehdi Ben Barka, Alioune Blondin Diop et bien d’autres, attendent, avec la patience du monde des esprits, que nous exhaussions leurs vœux par le parachèvement de l’entreprise de libération du Continent. 
Vous avez jeté les jalons du Pastef, en tête de pont de renaissance et de reconquête d’une destinée trop longtemps tenue sous l’éteignoir de la corruption, de la brutalité et des égoïsmes. En arrachant les instruments de la légitimité populaire, grâce aux atouts exclusifs de la persuasion, vous avez érigé un modèle de vertu, là où la plupart de vos prédécesseurs échouaient, sans répit. Croyez-en un aîné, vous n’avez droit à l’erreur.  Après tant de sacrifices, la négligence ne vous est permise. 
Or, les informations et échos de votre dissensus nous parviennent du Sénégal. La rumeur nous afflige et nous plonge dans une anxiété qu’agitent l’appréhension de l’échec et la crainte d’un cinglant désaveu par l’histoire dont nous ne saurions nous relever, de sitôt.
Pourtant, en Afrique, les populations vulnérables, les jeunes, les patriotes et surtout les cadets sociaux, au-delà de votre pays, commençaient à entrevoir la délivrance car vos victoires, réitérées dans les urnes, validaient leur aspiration à vaincre la fatalité. Un tel affranchissement ne peut devenir objet d’aventure. C’est un bien précieux et sa perte, ô combien onéreuse, déclencherait l’onde de choc de la régression et baliserait la pente de l’impuissance.
Aussi, vous invitons-nous au sursaut de la lucidité, afin d’éviter que se rompt l’élan de la locomotive salutaire.  Pastef- Sénégal, porte notre foi commune en l’avenir d’une Afrique des peuples, de la démocratie et de la souveraineté restaurée. Vous n’êtes pas seuls.



BDA

Bruxelles, 18 novembre 2025

● Mali ~ Contribution | « Pour un Mali qui se regarde en face, sans haine et sans peur » Par M. Boubacar Demba NDjim

En ce moment crucial de notre histoire, le Mali a besoin d’une parole forte, d’une parole de vérité, et d’une parole de responsabilité.

Notre nation affronte des défis économiques, sociopolitiques et sécuritaires d’une gravité exceptionnelle. Mais à ces défis s’ajoute un autre combat essentiel : celui des droits humains. Aucun progrès durable, aucune stabilité réelle, aucune paix solide ne peut naître là où la dignité humaine est ignorée ou sacrifiée.

C’est pourquoi nous devons dire les choses avec clarté : les autorités ont la responsabilité de regarder en face la réalité du pays. Les indicateurs économiques sont fragiles.

Le tissu social est mis à l’épreuve. Les libertés publiques, la justice, la sécurité des citoyens et la lutte contre les violences doivent redevenir des priorités absolues. Ce n’est pas de la contestation : c’est une exigence de démocratie, de vérité et d’humanisme.

Le Mali n’a plus besoin de slogans.

Le Mali n’a plus besoin de propagande. Le Mali a besoin d’un discours franc, d’une parole qui ne cache pas les difficultés mais qui propose des réponses courageuses et crédibles.

La confiance ne se décrète pas : elle se construit par la transparence, par l’intégrité et par le respect scrupuleux des droits humains.

Et au-delà du présent, il nous faut déjà préparer l’avenir. Car après le temps du pouvoir militaire  comme après tout système politique  nous devrons être capables de nous regarder dans les yeux, sans haine, sans vengeance, sans esprit de revanche. C’est à cette condition que la réconciliation sera possible. C’est à cette condition que la dignité sera restaurée. C’est à cette condition que le Mali pourra se relever.

Semons dès maintenant cette culture de respect, de justice et de vérité. Défendons les droits humains comme un socle inébranlable, non pas contre l’État, mais pour l’État, pour le peuple, pour la paix. Car un pays qui protège la dignité de chaque citoyen se protège lui-même.

Le Mali est notre héritage commun. Il est notre devoir, notre responsabilité et notre honneur de le défendre sans haine, mais avec fermeté ; sans peur, mais avec lucidité ; sans mensonge, mais avec courage.

Et c’est ensemble  unis, dignes et résolus que nous construirons un Mali où chaque enfant, chaque femme, chaque homme pourra vivre libre, en paix, et respecté dans sa pleine humanité.

Boubacar Demba N’Djim

Militant des droits humains.

● Réflexion ~ Contribution | Pour un rééquilibrage du Fiqh dans l’Etat islamique moderne | Par Mme Aissata Ahmedou Tidjane Bal

Certains ont comparé l’ordre et la discipline urbaine de certaines villes asiatiques à l’application d’une logique d’inspiration coranique : celle d’une rationalité ordonnée, d’une harmonie collective née du respect de principes supérieurs. Mais cette référence, souvent réappropriée à des fins politiques ou culturelles, témoigne d’un paradoxe : l’Islam, religion de raison et de justice, semble parfois absent des réalités sociales et politiques de ceux qui s’en réclament.

C’est pourtant sur des préceptes d’ordre, d’équité et de dignité que s’est fondée la Révolution torodo au Fouta-Toro, où Ceerno Souleymane Baal chercha à ériger une société islamique équilibrée  une cité où chaque caste tirait sa dignité du travail, où la femme était respectée comme gardienne du lien social, et où l’esclavage fut combattu comme une offense à la justice divine. Ceerno, fidèle à l’école malikite, sut unir la lecture littérale du Coran à l’exigence rationnelle. Il démontra que la fidélité à la Révélation n’exclut pas la lucidité politique, et que la spiritualité, loin d’être un refuge, est un acte d’ordre et de construction.

Le premier verset révélé au Prophète  » Lis ! » (Iqra’)  n’est pas une simple injonction littérale. C’est une ordonnance ontologique : un appel à la connaissance, à la quête de sens, à la compréhension du monde comme condition humaine. Lire, c’est déchiffrer le visible et l’invisible, c’est participer à l’acte divin de compréhension. La tradition islamique a toujours lié la foi à la connaissance (ʿilm), et la connaissance à la dignité. Le Coran évoque d’ailleurs la création du calame et de la tablette, symboles de la mémoire et de la pensée. Le musulman est ainsi appelé non seulement à croire, mais à penser le juste, à aimer la vérité et à agir selon la raison éclairée par la foi.

Dès lors, que signifie le silence des juristes religieux lorsque l’ordre public est bafoué, que l’égalité sociale s’effondre, que la corruption dévore les institutions ? Que signifie ce mutisme quand les prêches ne sont plus entendues, ou quand elles sont écoutées pour être aussitôt oubliées ? Ce silence devient plus qu’un désengagement spirituel : il est la marque d’une démission morale. Est-ce le signe d’une foi de façade, d’une passivité devant le chaos, ou le produit d’une éducation religieuse biaisée qui a détaché la foi de la cité, la conscience du politique, la prière de la justice ?

Car lorsque les savants se taisent, le vide qu’ils laissent est aussitôt comblé. Ce silence des fuqahāʾ ouvre un espace que d’autres s’empressent d’occuper : des activistes, sincères parfois, mais souvent emportés par la colère plus que guidés par la connaissance. Ils se croient porteurs d’un langage de vérité, mais leurs voix, nourries d’indignation plutôt que de science, finissent par déformer ce qu’ils prétendent défendre. Ils brandissent la justice sans en comprendre la mesure, s’érigent en juges sans la rigueur du droit, parlent au nom du peuple sans la sagesse de la loi. Ainsi, le déséquilibre s’installe : la parole du savant, qui aurait pu apaiser, structurer et élever, est remplacée par le cri du militant qui divise, blesse et consume. Et lorsque la colère tient lieu de pensée, la justice elle-même devient aveugle.

Dans des États qui se proclament islamiques, ce silence n’est pas seulement religieux : il devient institutionnel, étatique, moral. Les conseils religieux, souvent intégrés aux appareils du pouvoir, préfèrent l’obéissance à la vérité, oubliant que la mission du savant est d’être miroir du juste, non paravent du prince. Ce silence, c’est celui d’une conscience qui abdique. Et cette abdication ouvre la voie à la confusion : entre foi et idéologie, entre engagement et agitation, entre l’appel au bien et la soif de visibilité.

Pourtant, le fiqh originel n’a jamais été un droit du silence. Il était une pensée dynamique, ouverte sur la raison et sur le changement des temps. Les juristes malikites rappelaient que le changement des coutumes entraîne le changement des jugements : la loi ne se fige pas, elle s’adapte pour préserver l’équité. L’ordre islamique véritable n’est pas celui d’une immobilité, mais d’un équilibre : celui d’une justice sociale et morale, d’une préservation de la dignité humaine, d’une paix intérieure qui se prolonge dans la cité.

Le mutisme du savant face à l’injustice équivaut à la démission du témoin, car le témoignage du vrai (shahāda) est le prolongement de la foi. Celui qui se tait devant l’oppression participe à son maintien. Le rôle du fiqhi n’est pas de bénir l’ordre établi, mais de rappeler que la cité de Dieu n’est pas celle des puissants, mais celle de la justice.

L’Islam, dès ses origines, a proposé une vision cosmique du monde. Le Coran évoque les étoiles, les galaxies, l’expansion du ciel  bien avant que la science moderne n’en formule les lois. Cette ouverture au cosmos traduit une conception unifiée du savoir : l’homme, en connaissant, participe à l’ordre divin. Aujourd’hui, cette dimension rationnelle et contemplative s’est dissoute dans une pratique fragmentaire où la religion devient un refuge identitaire plutôt qu’un projet de civilisation. Beaucoup cherchent dans l’islam un apaisement spirituel sans y puiser une éthique du monde.

Mais la véritable foi, celle qu’incarnait Ceerno Souleymane Bal, consiste à faire régner la justice dans la cité. Refuser la justice, c’est trahir la volonté divine. Le fiqhi qui se tait face à l’oppression ne manque pas seulement à sa mission : il rompt le pacte du savoir et du juste. Et c’est alors la raison  ce don premier de Dieu qui s’éteint dans le vacarme du monde.

Dans les États islamiques contemporains, où les textes juridiques mêlent droit moderne et droit religieux, le fiqh pourrait redevenir une source d’équilibre et d’inspiration. À travers une lecture rationnelle du Coran et une compréhension renouvelée de ses finalités, il peut aider les magistrats à replacer le souci du juste au cœur de leur fonction. Car juger, dans la perspective islamique, n’est pas seulement appliquer la loi : c’est rechercher la vérité avec équité, préserver la dignité humaine et restaurer la balance morale du monde. En réconciliant la rigueur du droit avec la lumière de la raison coranique, le fiqhi peut encore inspirer des textes plus justes, des décisions plus équilibrées et une justice plus conforme à la noblesse de l’esprit islamique.

La Mauritanie par exemple alliant droit islamique et moderne dans ses cadres normatifs aurait pu être un bastion de la pensée rationnelle islamique, le lieu d’un rééquilibrage inspiré par le fiqh, aussi bien dans son paysage législatif que dans l’action des acteurs sociaux et politiques. Son histoire ne manque pourtant pas d’exemples où la rigueur religieuse s’alliait à la justice politique : l’héritage de l’empire du Ghana, l’expérience réformatrice du Fouta, ou encore Chinguetti, temple du savoir et carrefour des sciences religieuses. En renouant avec cette tradition, la Mauritanie aurait pu rappeler au monde musulman le socle vivant de la science juridique islamique  une science qui ordonne la cité, éclaire la raison et élève la justice.

Ainsi, dans le cadre républicain mauritanien, il serait possible de concevoir un projet institutionnel qui réconcilie la foi et la raison autour d’un même horizon éthique : celui de la justice, du savoir et de la dignité. L’éducation nationale, pierre angulaire de la conscience civique, devrait devenir l’espace privilégié où se tisse ce dialogue entre la science et la Révélation. Non pas pour confondre les domaines, mais pour leur restituer leur complémentarité : la foi, comme source de valeurs et d’équilibre moral ; la raison, comme instrument d’exploration du monde et de progrès collectif. Un tel plan pourrait intégrer, dans les curricula, une pédagogie de la justice sociale inspirée des principes coraniques d’équité et de solidarité, tout en renforçant la formation scientifique et cosmologique comme acte spirituel de connaissance. Il s’agirait aussi de développer des programmes de prévention intellectuelle contre les idéologies extrémistes, en opposant à la radicalité la rigueur du fiqh, à la haine la lumière de la connaissance, et à la confusion des discours la clarté d’une raison éclairée par la foi.

Mais au-delà de l’éducation, la pensée islamique elle-même doit être reconstruite, non dans une rupture avec la tradition, mais dans une fidélité intelligente à son esprit de raison et de justice. L’ijtihād effort d’interprétation et la maṣlaḥa recherche du bien commun doivent redevenir les instruments centraux d’une pensée islamique vivante, capable de dialoguer avec les réalités sociales contemporaines. Ces mécanismes, loin d’être figés, peuvent nourrir un projet de réunification nationale, en fondant la cohésion non sur l’ethnie ou la région, mais sur la dignité partagée de l’être humain, créé libre et responsable. L’‘adl (justice), l’ukhuwwa (fraternité) et la karāma (dignité) pourraient ainsi devenir les piliers d’un civisme spirituel, où la foi ne s’oppose pas à la citoyenneté, mais en élève le sens moral.

La Mauritanie, forte de sa diversité culturelle et de son expérience dans la lutte contre le terrorisme, pourrait devenir un laboratoire de ce renouveau islamique. Sa stabilité relative, son enracinement dans la tradition malikite et son héritage intellectuel issu de Chinguetti lui offrent les conditions d’une réconciliation entre religion, raison et République. En transformant la lutte contre le radicalisme en un combat intellectuel et moral pour une pensée éclairée, une justice sociale authentique et une pédagogie du respect , elle pourrait montrer qu’un État musulman moderne n’est pas celui qui impose, mais celui qui élève. La Mauritanie, fidèle à sa vocation spirituelle et politique, pourrait rappeler au monde que la véritable force d’une nation ne réside pas dans la domination, mais dans la construction d’une dignité partagée, où la foi inspire le civisme et la civilité devient un prolongement de la spiritualité.

Dans les Républiques Islamiques comme dans tous les États, traversés par le tumulte de la désinformation, l’indignation sélective et la confusion des repères, il faut des voix qui rappellent que la parole de Dieu doit rester audible : une parole de justice, de connaissance et d’équilibre, capable de réguler le désordre du monde et de rétablir la mesure du vrai.

Aissata Ahmedou Tidjane Bal, Juriste en droit Public.

©️ lien médias https://kassataya.com/pour-un-reequilibrage-du-fiqh-dans-letat-islamique-moderne/?fbclid=Iwb21leAOFa3ljbGNrA4Vrc2V4dG4DYWVtAjExAHNydGMGYXBwX2lkDDM1MDY4NTUzMTcyOAhjYWxsc2l0ZQIyNQABHtVDFUhVvD84ozYtVBAejoNgPfkQWIurZPCeNlqLUSvAl7ymwxRrsdEGbuzs_aem_8sATkrFjiGyFs8qGqfiFmA

● Éditorial de La Nouvelle Expression: L’axiome mathématique du Président Ghazouani | Par Camara Seydi Moussa

Nos propos ne s’attarderont ni sur la visite présidentielle à l’Est du pays, ni sur le rapport de la Cour des Comptes, mais sur une phrase – apparemment anodine – prononcée par le Président Mohamed Ould Ghazouani : « La Mauritanie est un petit pays ».

Cette phrase, qui a surpris plus d’un Africain, résonne pourtant comme un axiome mathématique – une vérité posée sans démonstration, mais énoncée avec la tranquillité de l’évidence. Un axiome qui, derrière son apparente modestie, cache un diagnostic implacable: celui d’un État réduit à sa plus simple expression, trahi par ceux qui l’ont façonné. Une vérité qui dépasse son auteur et qui trouve écho dans les propos tenus par le Président lors de son périple à l’Est, révélant ainsi les failles profondes d’un système qui peine à se réformer.
En qualifiant la Mauritanie de ‘petit pays’, le Président voulait probablement évoquer sa superficie, sa population ou ses ressources limitées. Mais les mots ont parfois une vie propre et révèlent des vérités inattendues. Car, oui, la Mauritanie est un petit pays, non pas en raison de sa taille ou de ses ressources, mais à cause de la petitesse de ses ambitions, de la médiocrité de ses pratiques politiques et de la fragilité de ses institutions.

Un pays est petit quand la tribu y pèse plus que l’État. Quand le mensonge devient une méthode de gouvernance. Quand la promotion se fonde sur l’appartenance et non sur le mérite. Quand l’élite confond patriotisme et privilèges. Quand les mêmes visages – depuis Maouiya – continuent à décider pour tous.
Un pays est petit :
– Quand ses dirigeants se soignent à l’étranger tandis que ses hôpitaux meurent.
– Quand leurs enfants étudient ailleurs pendant que l’école publique s’effondre.
– Quand les intellectuels sincères sont marginalisés et les médiocres décorés.
– Quand les institutions sont faibles et les hommes forts.
– Quand l’opposition passe plus de temps à se battre contre elle-même qu’à proposer une alternative.
Ce sont là les symptômes d’une petitesse nationale. Mais aussi les attributs d’un petit pays. Et surtout, un pays est petit lorsque son peuple se résigne à être gouverné ainsi.

Depuis sa naissance, la Mauritanie s’interroge sur son identité: arabe, africaine, berbère, négro-mauritanienne ? Mais pendant que nous débattons de ce que nous sommes, nous oublions ce que nous valons.
Nos ancêtres ont bâti des empires, des émirats, des almaamiyya fondés sur l’honneur, la justice, la bravoure et la science. Leurs héritiers, eux, ont érigé la triche, le népotisme et la cupidité en valeurs d’État.

Depuis sa création, le pays s’est enlisé dans une querelle identitaire stérile, préférant renier son authenticité plutôt que d’assumer les vérités que l’histoire et l’archéologie pourraient reveler. Notre élite s’abreuve de récits importés et de copies douteuses, reniant la Mauritanie des empires, des savants et des bâtisseurs. C’est ainsi que nous sommes devenus petits dans un petit pays.

Le Président avait raison, d’une certaine manière: la Mauritanie est un petit pays. Sinon, comment expliquer – comme je l’ecrivais un peu plus haut – la présence de ces hommes et femmes qui, depuis plus de quarante ans (de Maouiya à aujourd’hui), continuent à gouverner, à s’accommoder de toutes les situations comme des danseurs s’ajustant aux rythmes du tam-tam ? Ils décident pour nous de tout : de l’école, de la santé, de la gouvernance. Et pourtant, ils ne se soignent pas ici et leurs enfants n’apprennent pas dans nos écoles. Voilà pourquoi nous sommes un petit pays: sans logique programmatique, sans vision de développement, prisonniers d’une classe dirigeante dont la seule constante est la préservation de ses intérêts. Le cercle vicieux du pouvoir.

Nous sommes un petit pays parce que nous avons perdu la mémoire politique et la culture de la dignité. Souvenons-nous : les proches de l’actuel Président voulaient un troisième mandat pour son prédécesseur, Ould Abdel Aziz, au nom de son « irremplaçabilité ». Ils l’ont fait pour Maouiya, pour feu Ely, pour feu Sidi Ould Cheikh Abdallahi… et ils le feront encore pour Ghazouani, tout en préparant déjà leurs discours de soutien pour le prochain. Voilà pourquoi nous sommes un petit pays.

Le résultat est clair : Un pays riche par la nature, mais pauvre par la culture de ses élites. Quand un peuple se laisse gouverner par des criminels en col blanc, quand il accepte la corruption comme une fatalité, quand il célèbre les voleurs plutôt que les bâtisseurs, il devient le miroir de sa propre décadence. Le miroir de sa petitesse. Le résultat d’une équation morale.

Ce que Ghazouani a dit, sans le vouloir peut-être, c’est que la Mauritanie est devenue le reflet exact de ceux qui la dirigent – et de ceux qui les tolèrent. Et tant que cette équation ne changera pas, le résultat restera le même:
Petit pays = petits hommes = petites ambitions.

Oui, Monsieur le Président, vous avez raison: la Mauritanie est un petit pays. Mais elle ne l’est pas par nature – elle l’est par choix, par renoncement, par résignation. Elle le restera tant que les Mauritaniens ne décideront pas de redevenir grands: non par les discours, mais par la dignité, le travail, la justice et la mémoire. Une vérité douloureuse, mais necessaire.

Car ce pays, jadis grand par ses empires, est devenu petit par ses comportements – ceux d’un État profond qui a pris en otage la République. Et le premier pas vers la grandeur est peut-être, paradoxalement, d’avoir enfin reconnu notre petitesse – et que ce constat vienne du plus haut sommet de l’État.

La vérité de cet axiome, c’est que nous sommes aujourd’hui perdus, désorientés, abandonnés. Mais si nous savons nommer notre petitesse, alors peut-être, enfin, pourrons-nous redevenir grands.

Camara Seydi Moussa

©️ lien médias http://nouvelleexpression.org/suite-info.php?var=2224&fbclid=Iwb21leAOFM6djbGNrA4UzBmV4dG4DYWVtAjExAHNydGMGYXBwX2lkDDM1MDY4NTUzMTcyOAhjYWxsc2l0ZQIyNQABHhGntcSv-0VJQdJipYB0POqohtGv6teiLLOnudGIe_FNRsiEqlrk0CNYqLJH_aem_ehx8MPkmXR33shKbWd-1-w

● Pour une refondation de la Mauritanie : rompre d’avec les réflexes du tribalisme et de l’ethnicité | Par le député Biram Dah Abeid



–Par Biram Ould Dah Ould Abeid 
Député à l’assemblée nationale de Mauritanie

Dès après le premier putsch prétorien de1978, la corporation des officiers supérieurs a pu remodeler le jeune Etat, pour l’acclimater aux prérequis de la tribu et de l’ethnie, comme source tacites de légitimité. Certes, ils n’ont jamais assumé la mue et les Mauritaniens la subissaient, plutôt, sous le mode de la clandestinité honteuse.  La structure politique et administrative, quoique centralisée en apparence, a été prise d’assaut par les forces centrifuges et ainsi dépouillée de ses prétentions au jacobinisme. D’arbitre soucieux de préserver l’intérêt général, à partir d’une capitale de laquelle l’autorité juste ruissellerait sur le reste du pays, les militaires ont réduit, l’entreprise, à une arène de compétition des appétits primitifs où la force armée ne sert plus qu’à réguler, au sommet, la rotation du « chacun son tour ».
L’organisation de l’ensemble ne relève de l’aléa, même si elle n’a jamais été revendiquée sous la forme d’une charte ou d’un référent théorique. Mercantile avant que d’être idéologique, elle s’inscrit, d’abord, dans la durée du fait accompli et produit, depuis des décennies et sans aucune césure ni trêve, la répartition des avantages statutaires, matériels et symboliques, selon l’audience et l’entregent de telle ou telle « communauté », au triple détriment de l’égalité, du mérite et de la compétence. Il s’agit, au fond et avant tout, d’une prédation mise en œuvre derrière le paravent d’un modèle de gestion dont la façade arbore les attributs de la république mais dissimule la matérialité d’un exercice de type clanique que sa verticalité prédestine à engendrer le privilège, le passe-droit et la fraude, au bénéfice d’une clientèle culturellement homogène. La question n’est donc plus de savoir si l’État mauritanien est ou non une structure ethno-tribale, à vocation de mafia. Non, il importe, désormais, de se demander en quoi consiste la sortie du système de délinquance feutrée, en vue de d’imaginer puis de recréer une solution alternative, sur la base des standards universels de la vertu.

I. La matrice factuelle de la préférence, l’autre cache-misère de la discrimination
Dès la fin des années 1970, le partage du pouvoir suivant la rationalité décrite plus haut, s’est imposé en norme adossée à l’évidence, c’est-à-dire non-questionnable. Les gouvernements successifs ont toujours illustré et reconduit l’architecture inéquitable de la répartition :
23 à 25 ministres Maures, 1 Soninké, 3 à 4 Hal Pulaaren et Hratine mais ces derniers, souvent, préemptent l’affichage du poste de Premier ministre, aux fins de racheter, du moins démentir la réputation esclavagiste du pays.
Les Wolofs, composante reconnue et les Bambaras ignorés, demeurent assignés aux marges du hasard. La roue capricieuse de la fortune peut les atteindre, par ricochet.
Le déséquilibre marque les entrailles de l’appareil administratif, de la justice, de l’éducation nationale, des sociétés d’Etat, des douanes, des impôts et contributions diverses, de la diplomatie, de l’armée, de la police et de la religion officielle. Les nominations y procèdent des ondes concentriques de l’esprit de corps, loin des critères de l’utilité sociale. A cause de la distorsion du rapport des forces en termes de moyens pécuniers, la pratique de l’éviction n’épargne, non plus, le semblant de démocratie élective : La composition du Parlement le reflète assez, jusqu’à la caricature. Les députés s’élèvent, là, au nom de leur appartenance privée et des intérêts qui les portent. Leur représentativité résulte de l’achat des consciences et, surtout, de la fraude dans les urnes.
In fine, l’Etat s’est transformé en une fédération de clientèles d’une avidité débridée. La coexistence de celles-ci repose sur l’alternance périodique des concessions à la tribu, au détriment du bon sens. Cependant, des promotions bienséantes profitent, quelquefois, à des personnes issues du lot des exclus mais pas toujours porteuse de qualification. L’inflexion ressortit au soin de nourrir l’apparence de l’inclusion, peu importe l’effectivité du partage. Le faux plausible alimente l’ingénierie du déni oblique en Mauritanie.

II. Le commerce de la position décisionnelle et l’effondrement de la redevabilité
La monomanie de quotas et du clientélisme prédateur a fragilisé la fonction publique et altéré ses objectifs, dans des proportions que l’on qualifierait d’irréversibles. Depuis le milieu des années 80, plus de 70 % des hauts responsables, chargés de mission, conseillers, directeurs généraux ou directeurs singuliers, ne proviennent pas des corps constitués de l’administration et très peu doivent, leur poste, à un concours. La privatisation de l’Etat favorise l’escalade des médiocres, à la cime de l’échelle des valeurs. D’emblée, elle confère, à la meute solidaire du passable et du moyen, l’usage du cachet et lui procure les clés du coffre-fort. Le capital privé national est né aux forceps d’une série de coups d’Etat.
Les présidents de conseils d’administration – malgré une loi encore sans effet qui prétend y mettre un terme – captent leur sinécure, de la seule nécessité de recycler les pièces du rouage, momentanément ou à jamais hors circuit. Ici, nul ne tombe en péremption, tout se récupère, l’économie circulaire du tri sélectif tourne à plein régime.
L’on comprend, dès lors, la réticence, voire l’inaptitude de l’engrenage susmentionné, à sanctionner le détournement du denier de la collectivité. La pression de la tribu, du clan, de la grande famille garantit, aux auteurs, l’impunité et l’atout rétrospectif de l’invincibilité. En 2025, le rapport de la Cour des comptes pourtant explosif, risque de verser dans la confirmation du pis-aller.
La dérive précitée compromet la perspective d’une réforme en profondeur qui irait à contresens du clientélisme proto-eugénique. Néanmoins, la révision est possible, de l’intérieur, à condition que le système consente à son suicide, pour le bien commun. Hélas, en politique, les exemples d’un altruisme aussi extrême n’encombrent le cours de l’histoire.

III. Les revers du discours et l’’avarie du verbe autopromu
À maintes reprises, le Chef de l’Etat Mohamed Ould Ghazouani a exprimé son intention de transformer la société et de rétablir le droit des gens. Ses envolées à Ouadane, Néma et Djéwol ont suscité l’espoir d’une thérapie de choc, d’un nouveau départ, empreint d’inventivité et de reconquête de l’éthique. Cependant, les promesses ne dépassent, encore, le stade de la déclamation saisonnière : En termes, d’évaluation, de projection de long terme et de plan d’action, l’horizon trahit l’insondable vacuité d’une gouvernance d’au jour le jour.
L’agence Taazour, créée en 2019 pour combattre la pauvreté et l’exclusion, témoigne du décalage entre la parole et l’acte. Ses interventions ponctuelles n’ont produit qu’un impact folklorique et des avalanches de commentaires sur les réseaux sociaux.
Le dernier laïus du Président à Nbeiket Lahwach, au début de novembre 2025, appelle à interdire la participation des fonctionnaires à la théâtralité des tribus. Le propos, d’ailleurs éloquent, va dans le bon sens mais l’intention prospère au cœur d’un paradoxe confondant : La tournée du Chef de l’Etat, a été supervisée et exécutée par des fonctionnaires dans un cadre strictement tribal, lui-même financé sur l’argent du contribuable. Des ministres, secrétaires généraux, ambassadeurs et autres meneurs de la machine de l’Etat s’en sont même vantés, à visage découvert. Le Président devrait parler un peu moins et sévir beaucoup plus. S’il le fait, l’opinion, y compris ses adversaires, s’exprimera pour lui.

IV. Réparer l’Etat
L’ambition suppose une rupture claire d’avec les anachronismes et la volonté de tenir, fermement, l’anse de l’équité. La réparation doit s’articuler autour de mesures précises :
1. Abolir les quotas et dosages tribaux, ethniques ou communautaires, lors du choix des agents du service public et privilégier le mérite professionnel, la compétence, l’intégrité et l’expérience.
2. Abroger, avec effet rétroactif, le recrutement des non-fonctionnaires. Un audit complet des nominations durant les deux dernières décennies permettra de réévaluer les ressources humaines, réduire les coûts de fonctionnement et corriger l’injustice flagrante de certaines préséances.
3. Approuver et appliquer, sans délai, le projet de décret relatif au personnel de la fonction publique, texte bloqué depuis des années dans un tiroir du ministère éponyme.
4. Traduire, en gestes forts, le vœu de lutter contre la corruption et les fraudes, notamment, la contrefaction des diplômes et la falsification des habilitations professionnelles. Les poursuites judiciaires, audits et transparence des rapports de la Cour des Comptes et de l’inspection Générale de l’Etat constituent les instruments désignés de la riposte.
En guise de conclusion
La Mauritanie se trouve à la croisée des chemins. Le Chef de l’État, à présent au milieu de son second et dernier mandat, détient la totalité des cartes. Il peut entrer dans l’Histoire s’il consent à réhabiliter l’Etat, grâce à la moralisation des comportements et au choix avisé des femmes et hommes en charge de conduire le relèvement. S’il se résout à éradiquer l’anarchie, l’insuffisance et la faveur héritée, il reprendra le chantier désaffecté de la République, là où les militaires l’ont arrêté en 1978. 
Nous voulons croire au sursaut et y concourir, pleinement, dans l’espoir de voir renaître, enfin, l’idée d’une Mauritanie de la justice, de la méritocratie et de l’unité qu’irrigue l’exigence de l’égalité, définitivement à l’abri des distinctions de naissance.

Bruxelles, Royaume de Belgique
14 novembre 2025

● Contribution | Ce que nos régimes coutumiers distillent de « darwinisme social »..! Par KS

Au cours de la lecture de l’ouvrage « Le Contrat racial » du philosophe Charles W. Mills, des passages d’une belle critique faite de certaines références philosophiques de la substance épistémique du monde encarté occidental, ont suscité intimement une stimulante curiosité en moi. Ici notre note de lecture https://ecrit-ose.blog/2023/07/11/%e2%97%8f-note-de-lecture-dun-ouvrage-marquant-le-contrat-racial-de-charles-wade-mills/.
Notamment certaines notions qui appuient une sophistication « savante » d’un nombre de préjugements qui font source déterministe, essentialiste et fataliste de sciences sociales et politiques. Ce qui a donné corps et (donne corps) à un postulat racialiste d’un certain rationnalisme laissant comprendre que les Hommes (comprendre les races selon cet entendement) ne pourraient pas se valoir par leurs actes (vertueux ou pas) parce qu’une élection naturelle (d’ordre divin) les ségrégue et assigne fatalement par l’essence d’une supposée grâce fatidique. Ainsi, de cette donnée apprise par mon approche de passable « apprenti philosophe » free-lanceur, j’y ai articulé un concept entendu régulièrement dans les interventions médiatiques et conférences (principalement sur YouTube) de l’historien français Johann Chapoutot, le darwinisme social. M. Chapoutot qui est écrivain et historien du nazisme, disséque avec beaucoup d’entrain les univers mentaux du terreau sociologique, idéologique et politique du monde occidental qui a vu poindre le sinistre phénomène nazi. Il laisse entendre que le darwinisme social couvait et occupait l’arrière-fond socio-politique et religieux d’un certain ordre civilisationnel en fonctionnant sous une certaine binarité comme suit : le Centre-essence dans l’histoire (l’entité blanche occidentale) et les marges-relégués dans l’histoire (autres peuples biologiquement d’ailleurs). Le nazisme hilterien s’était aligné horriblement avec un zèle particulièrement violent et totalitaire en s’inspirant ou en profitant des circonstances et des facilités structurelles au sein de l’environnement sociologique germanique. Un darwinisme social racialisé et militarisé « brun » pour épurer l’espace biotope germain et imposer un suprémacisme ethno-racial aux marges non germaniques qui doivent subir écrasements et dévastations multiformes.
Donc… le darwinisme social porte intrinsèquement les germes d’un suprémacisme identitaire par lequel une sorte de divinité-peuple ethnique qui s’accorderait une élection naturelle pour dominer les autres peuples qui seraient inférieurs par fatalité de nature. Au temps de l’Afrique du Sud sous l’apartheid, les pontes religieux parmi le monde Afrikaner étaient gavés idéologiquement en la matière pour « moralisée » les comportements sociaux et politiques du système foncièrement racialiste, raciste et suprémaciste.

L’engagement contestataire comme répondant mené par l’archevêque sud-africain Destmond Tutu donne un aspect de compréhension, lire https://ecrit-ose.blog/2022/01/05/%e2%9c%93-islam-et-legalite-le-monde-musulman-ou-du-moins-afro-musulman-a-besoin-dun-desmond-tutu/

Le darwinisme, la définition du Larousse nous renseigne : « Théorie de Darwin d’après laquelle les espèces évoluent selon les lois de la sélection naturelle. »

Et de ce qui peut exister d’un semblable darwinisme social dans certains de nos enclos communautaires et ethno-raciaux en Afrique  :

« Darwinisme social » comme ideologie d’où végéte un certain suprémacisme ethno-racial, a ses versions grises très actives dans beaucoup de nos communautés africaines. Le droit du sang et l’intégrisme communautaire en constituent une substance de nature. Merci encore à l’histoirien Johann Chapoutot pour ses réflexions pertinemment énoncées à propos de cette matrice historique du phénomène nazi, en l’écoutant attentivement écho et parallélisme nous bipent sans cesse…

Écho et Parallélisme par un certain essentialisme identitaire qu’on retrouve dans les idéologies sociales intra-communautaires et transcommunauraires. Le système de castes en est une certaine illustration de ce darwinisme social gris. La caste dans l’ensemble communautaire devient un sceau identitaire d’essence dans le temps et dans l’espace. Un certain ordre endogamique assurant la continuité, l’individu est né « étant » assigné socialement donc tout projet de « devenant » est lié et circonscrit à cet étant dans son couloir collectif (sa caste). C’est un schéma d’une hermétique prédestination qui constitue l’arrière-fond philosophique de l’affaire. On dira que le destin se serait chargé naturellement du tirage au sort entre les assiettes identitaires et le sang (la biologie du coup) fait le statut et le rang en toute fatalité. Cette dernière fait substance à ce darwinisme social gris sous l’ordre d’un intégrisme communautaire qui peut se manifester par un narratif apologétique d’un noyau  « identité originelle » adossée à une sorte de divinité ethnique. La sélection naturelle est du fait de la croyance à ce dogme peu avouable nominalement consacré à cette divinité ethnique qu’on peut qualifier de divinité-peuple.
Une culture d’un fatalisme écrasant qui ne supporte que difficilement tout mouvement de changement structurel. Les inégalités sociales et politiques internes, il faut les accepter et les faire accepter parce que l’assiette sociale qui détient la suprématie s’érige comme l’incarnation absolue de la lieutenanance de la divinité ethnique ou la divinité-peuple. Les subordonnés statutaires se doivent une acceptation que le sort leur fut défavorable une fois pour toutes et leurs éventuelles volontés d’agir pour un changement de condition ou de statut seraient accusées de blasphèmatoires à l’encontre de l’ordre divin ethno-racial. Par exemple en Mauritanie : un esprit suprémaciste et féodalo-esclavagiste qu’il soit arabo-berbère, soninké ou poular verrait toujours de « l’extrémisme » et de la « haine » chez les « cadets sociaux » qui osent réclamer effectivement l’égalité sociale et politique au sein de leurs communautés respectives. C’est gravissime… on ne met pas en cause la sélection naturelle d’une élection socialement validée par la divinité ethnique.

Ainsi, on comprendrait peu de choses de sourds fascismes gris intra-communautaires et intercommunautaires dans nos espaces et l’aversion qu’ils peuvent déployer à l’endroit de toute idée d’égale dignité (concernant les avoirs matériels et immatériels et les symboles), si on ne s’autorise pas une mise en perspective centrée sur ce versant du darwinisme social.

13 novembre 2025

KS pour le BLOG